Enquête à la médiathèque : 9 nouvelles à lire

Depuis le mois d’octobre 2018, la Médiathèque Municipale d’Outreau propose un atelier d’écriture animé par Karine Gournay, auteure locale. Dans une ambiance conviviale et bienveillante, laissez-vous emporter par l’écriture et pénétrez les limbes de l’inmagination….

Et si on prenait la plume ? Un atelier d’écriture c’est un lieu d’invention, un lieu de création, un lieu d’émotion: on rit beaucoup, on s’énerve, on s’interroge… Et puis un atelier d’écriture c’est une rencontre, forte, durable, au cours de laquelle les personnages échangent et partagent ce qu’elles ont de meilleur : leurs rêves, leurs désirs, leurs histoires… L’atelier invite à explorer des formes et des styles sans préjuger du résultat. Il pousse l’imaginaire à se révéler autrement. 

Vous allez découvrir les nouvelles écrites par nos neuf apprentis écrivains sur le thème commun « Enquête à la Médiathèque».

MA CHERE LIBERTE - Charlyne Anarratone

Juliette se réveille toujours très tôt. Elle n’a pas beaucoup de sommeil, tout le temps l’oreille aux aguets. Pour six heures, elle est levée. Depuis peu, elle et  on mari, Marc, font chambre à part.

Sans bruit, elle descend l’escalier, évite la marche qui grince, repousse la porte intermédiaire du couloir et pénètre dans la cuisine. Pour elle, c’est le meilleur moment de la journée. Elle savoure le calme qui règne dans sa maison, même le chien ne bouge pas, endormi devant la cheminée. Dans la salle à manger et le salon, les rideaux sont tirés, rien ne filtre à l’extérieur.

Marc a conçu un système afin de boucher l’oculus de la porte d’entrée. C’est un bricoleur émérite son mari, limite maniaque. Ainsi, il est certain qu’aucune lumière ne sera visible de la rue pendant la nuit. Il a tout installé dans la maison, comme ces barres à rideaux encastrées dans les murs des fenêtres, c’est beau, c’est net. Mais elle a besoin de son aide pour les décrocher afin de les laver et les remettre en place. Rien n’est simple en fait chez elle. Devoir implorer ses services… Il jubile !

Dans cette obscurité, se détachent sur le manteau blanc de la cheminée, toutes les armes accrochées, ses fusils, ses poignards, ses baïonnettes, démontées, huilées, graissées, remontées régulièrement. Tous les murs sont occupés par ses passions. Juliette, elle n’a le droit qu’à quelques assiettes décoratives et ses livres dans la bibliothèque. Ce sont ses seuls trésors. D’ailleurs, la médiathèque d’Outreau, là où elle vit, demeure son unique refuge lorsqu’elle se sent acculée.

Juliette s’installe à sa place pour déjeuner dans la cuisine en regardant la pendule. Encore quelques heures de silence. Elle écoute s’égrener les minutes, beurrant ses tartines avec la confiture qu’elle a mitonnée cet été avec les beaux fruits de son jardin. Ce matin, ce sera fraise. Elle n’oublie pas d’aller chercher son journal dans la boîte aux lettres, en passant par le garage avec mille ruses pour ne pas faire de bruit avec la serrure. Le distributeur passe très tôt et même le chien, qui le connaît, n’aboie pas. Tout va bien. Sa chaise l’attend. Juliette mange en regardant les nouvelles, des accidents, des attentats, des enfants maltraités, toujours cette violence qui l’affecte énormément. Le chien, bien dressé par son maître, arrive silencieusement afin de quémander une petite part de tartine à la confiture et repart dans son panier. Puis, elle prépare le petit déjeuner de Marc qui se lèvera plus tard. Il ne prend son service qu’en fin de matinée. Sa tasse, un sachet de thé, des biscottes avec du miel. Il n’aime pas la confiture de fraises.

En ce début d’automne, il fait encore très bon. Elle prend son sécateur au milieu des outils de jardinage, toujours nettoyés après emploi et rangés en ordre précis. Alors que le bleu du jour se répand peu à peu dehors, elle part voir ses fleurs, ses roses simples, doubles, grimpantes, blanches, rouges, jaunes… Juliette leur parle, elle les connaît toutes. Ici, elle taille un buisson, désherbe ses massifs… Son jardin se déroule comme un tableau où s’harmonisent des couleurs chatoyantes. C’est aussi un refuge pour les oiseaux dont elle prend soin. D’ailleurs, en février c’est souvent un véritable concert qui l’accueille dans son jardin. 

Neuf heures ! Elle pousse un profond soupir et rentre dans la maison toujours silencieuse. Elle prend son sécateur et le serre quelques instants dans sa poche. Puis, elle monte le plateau-déjeuner de son mari. Elle frappe doucement à la porte de la chambre avec la crainte d’avoir mal manipulé la poignée.

Comment va-t-elle être reçue ? Comme d’habitude en râlant, parce qu’il a soi-disant entendudu bruit en bas ? Ou avec ce regard méprisant qui la glace toujours autant ? Enfin, elle ressort en catimini et murmure “tu peux te rendormir, tu as tout le temps devant toi maintenant.” Une fois redescendue à la cuisine, Juliette frotte et astique son sécateur et le range à sa place. Puis, elle sort en claquant la porte de garage derrière elle. Alors, elle se met vite en route afin de rendre ses derniers livres empruntés à la médiathèque. Elle fera son possible pour paraître joviale à la bibliothécaire en faisant attention de ne pas trop en faire non plus.

Ce matin, elle a lu dans son quotidien, une annonce :

Ce jour, dernier concert à l’Opéra de Vienne en Autriche. Voyage organisé au départ de Roissy Charles de Gaulle, 450 euros tout compris (vol, spectacle, hôtel, petit déjeuner). À retenir via internet.

Juliette n’a pris aucun bagage. Elle verra bien sur place.

Alors que le train de Paris-Gare-du-Nord allait entrer en gare, deux agents de la police, dont l’un deux tenait la photo de Juliette à la main, lui demandèrent avec courtoisie de les suivre. De toute façon c’en était fini avec lui.

Bizarrement, elle se sentit légère et libre. 

 

UN AMI SI FIDELE - de Léo Fortuni

Les gyrophares des ambulances et de la police éclairaient la médiathèque. Un vent froid et glacial ne semblait pas perturber la foule de badauds attroupée. En état de choc, Sarah vit passer le brancard qui emportait le corps de Stéphanie. Un policier s’approcha d’elle et lui demanda :

– Pouvez-vous me dire ce qu’il s’est passé ?

Abasourdie, Sarah leva la tête et regarda l’agent. Tout se bousculait en elle. Elle voulait oublier ce cauchemar. Elle pencha la tête, souffla et décida de tout lui raconter. Ce soir-là, elle devait aller au cinéma avec son amie Stéphanie. Elle arriva peu avant la fermeture. Elles parlèrent de choses et d’autres. Stéphanie lui demanda de l’attendre devant l’entrée le temps de fermer la bibliothèque. Sarah compta les minutes qui défilaient mais toujours pas de Stéphanie. Un peu agacée de patienter, elle décida de voir ce qu’elle faisait.

Arrivée près du bureau, elle la découvrit. Son corps gisait dans une mare de sang au pied de l’escalier. Elle se précipita vers elle. Son regard était vitreux. Sarah fouilla dans son sac pour trouver son portable. C’est alors qu’elle entendit un bruit derrière elle et fut plongée dans l’obscurité. Elle se tourna et vit un homme bondir vers elle. Un furtif rayon de lune fit étinceler la lame d’un couteau. Sans réfléchir, elle se précipita vers l’escalier. Elle sentit une main arracher son sac qui heurta la baie vitrée. Elle escalada alors quatre à quatre les escaliers tandis qu’elle percevait le pas lourd de son agresseur derrière elle. La moindre chute pouvait lui être fatale. Arrivée en haut, elle fit tomber une étagère qui espéra t-elle, freinerait sa course. Les DVD heurtèrent le sol. Toutefois, cela n’eut pas l’effet escompté. Il enjamba l’obstacle avec adresse. Le souffle court, Sarah traversa la passerelle et aperçut la porte de l’atelier de papercraft. Vite! Elle espérait s’y enfermer. Les scalpels seraient un bien piètre secours face à l’énorme lame du couteau, mais, suffisants pour lui faire mal. Elle se rua sur la poignée. Horreur ! La salle était fermée.

Sans réfléchir, elle bondit sur une autre porte et se trouva dans la section jeunesse. Elle entendait les pas de son agresseur frapper lourdement le sol. Elle savait qu’elle devait prendre un maximum d’avance sur lui et surtout ne pas se retourner. À travers la verrière, la faible lumière des réverbères éclairait les rayonnages. En nage, le coeur battant, elle dévala les marches. Il était juste derrière elle. Elle pouvait presque entendre sa respiration. Elle avait dans ce lieu tellement de bons souvenirs avec sa fille comme chercher les livres, parler avec Pauline, la bibliothécaire, assister aux ateliers de lecture le mercredi. Bref, elle ne pouvait pas mourir là, pas aujourd’hui.

En bas de l’escalier, un geste rapide de son assaillant fit siffler l’air. Sarah poussa un cri de douleur. La lame lui avait entaillé le haut du bras. Terrorisée, elle accéléra le pas, vit un gros livre sur le bureau, le saisit, virevolta et lui balança au visage. Cela eut l’air de le surprendre.

Il chancela un instant avant de reprendre sa course. L’espace d’une minute, Sarah constata qu’il était assez grand et portait un chapeau, ainsi qu’un long manteau noir du style que portaient les officiers de la Gestapo.

Dans le hall d’entrée, rapidement elle tenta d’analyser la situation. Sortir vers la porte d’entrée ne servait à rien car la coupure d’électricité l’avait certainement bloquée. Elle sera alors faite comme un rat. À droite, la salle de spectacle était fermée de l’intérieur. Elle ne vit qu’une seule issue, l’escalier qui menait au balcon. Elle s’y engouffra comme une furie. Quand la main de l’homme effleura son pied. Elle poussa un cri. Une seconde de plus et son compte était bon. Paniquée, elle escalada les marches, poussa la porte et se retrouva sur le balcon. Les ténèbres l’enveloppèrent. Elle peina à distinguer la salle technique. S’y cacher? Et elle devenait une proie facile. Sarah avança à contrecoeur. Des pas s’arrêtèrent derrière elle. Elle l’entrevit dans l’encadrement de la porte.

Là, massif, le visage légèrement éclairé par la sortie de secours, il semblait la jauger. Il souriait même et devait certainement savourer son plaisir de la tenir enfin. Le coeur battant, la respiration haletante, elle heurta la rambarde. Aucune échappatoire. Elle sentait la fin venir. Ne pas mourir aujourd’hui. Il avança d’une façon indolente vers elle. Il ne lui servait à rien d’hurler, elle était trop éloignée de la rue. Personne ne l’entendrait. Elle le devina, il approchait…

Mue par un instinct de survie, sans réfléchir, elle enjamba le balcon et sauta dans l’abîme. Son agresseur eut l’air surpris. Il se précipita vers elle. Il était apparemment trop tard. Dans sa chute, elle espéra ne pas s’écraser sur les fauteuils. Elle heurta lourdement le sol. Une violente douleur se fit sentir à la cheville. Sonnée, elle le regarda qui se penchait sur le bacon et allumait une lampe torche. Un rayon l’aveugla.

Puis, il disparut. De longues minutes s’écoulèrent mais Sarah savait qu’il allait revenir. Sa cheville lui faisait horriblement mal. Elle rampa dans le noir et chercha à tâtons les rangées. Tout à coup, la salle s’illumina. La poignée de la porte fut secouée avec sauvagerie. Alors il frappa violemment contre celle-ci. Il cherchait à la défoncer. Sarah puisa dans ses dernières forces pour avancer le plus rapidement possible. Pourvu que la porte tienne, car les heurts devenaient de plus en plus puissants.

Paniquée, elle remonta l’allée. La porte des coulisses étaient à quelques mètres. Elle eût juste le temps de s’y engager quand la porte céda. Elle l’entendait marcher dans les ailes successives. Il allait vite.

Au loin, Sarah, aperçut la sortie de secours. Avec un peu de chance, elle sortirait et quelqu’un l’entendrait hurler à l’aide. Elle rampait péniblement car sa douleur à la cheville entravait sa progression. Elle était en sueur. Chaque mètre franchi était une torture. Quand la porte des coulisses claqua. Il arrivait. Elle n’aurait jamais le temps d’y parvenir. 

Soudain il l’attrapa par le dos, la souleva et la claqua brutalement contre le mur. Un instant, elle discerna un marteau près de l’armoire technique. Dans un réflexe, elle le saisit, se retourna et lui asséna un coup violent. Son visage se figea, du sang ruissela du haut de son crâne, il tomba à la renverse.

Le policier prit les dernières notes. Deux pompiers vinrent la chercher.

Assise sur le sable, Sarah regardait les mouettes voler. Les doux rayons d’un soleil d’automne réchauffaient son visage. Elle entendait les lions de mer aboyer au loin. L’inspecteur vint s’asseoir près d’elle. Après avoir pris de ses nouvelles, il lui expliqua que son agresseur s’appelait Quentin Morin. Quentin Morin… Elle le connaissait. Il était dans sa classe en terminale. Il était amoureux d’elle. Elle le trouvait sympa, mais, elle avait toujours gentiment refusé ses avances. Les policiers avaient découvert chez lui des centaines de photos d’elle à différentes périodes de sa vie. À partir de son ordinateur, ils s’étaient rendu compte que Quentin avait suivi la jeune femme depuis le lycée. Il éliminait tous ceux qui s’intéressaient à elle. Sébastien, son copain de fac, retrouvé mort en bas d’un pont. La police avait conclu à un suicide, même s’il n’était pas dépressif. Laurent, étranglé chez lui. L’affaire avait été classée sans suite faute de

coupable. Puis récemment, son mari qui avait eu un accident de moto. Une voiture l’avait fauché et avait pris la fuite. Un mois d’hôpital et une longue rééducation. Tout s’expliquait maintenant. Elle chercha à cacher ses larmes.

Les dix années durant lesquelles elle avait été tranquille, étaient celles passées en Irlande où elle avait rencontré son mari. Quentin quant à lui, avait certainement cherché à la retrouver et avait mis un peu plus de temps que prévu.

Quentin Morin, elle l’avait vu comme un bon copain, gentil, serviable. Un ami si fidèle…